Tournoi d’éloquence 2019
Salle à gradins de l’Institut Notre-Dame de Jupille
Vendredi 8 février 2019
Participants
Candice LAMY
“La superstition met le feu au monde, la philosophie l’éteint.” (VOLTAIRE)
Simon JANSSENS
“On vient plus facilement à bout de sa mauvaise conscience que de sa mauvaise réputation.” (Friedrich NIETZSHE)
Florian FANIELLE
“Comment pouvons-nous être sûrs de ne pas être des imposteurs.” (Jacques LACAN)
Laurie BOLAND
“Je suspends mon jugement” (MONTAIGNE)
Helin BOLAT
“Ca ne rapproche pas, le téléphone, ça confirme les distances.” (Simone de BEAUVOIR)
Kelly THEUNISSEN
“Car les questions vraiment graves ne sont que celles que peut formuler un enfant.” (Milan KUNDERA)
Arthur VOGELS
“Ne rien désirer… voilà la véritable sagesse.”
Nastasia DARDENNE
“Le virtuel n’est pas la possibilité d’être ailleurs, mais d’être nulle part.” (Franz KAFKA)
Laure DUCHESNE
“Rien n’est plus beau que de perdre son temps.” (Pablo NERUDA)
Marie TROQUETTE
“Et seule l’illusion rend heureux, non le savoir.” (Stefan ZWEIG)
Palmarès
1er prix
Laure DUCHESNE
2ème prix
Simon JANSSENS
Prix du public
Laure DUCHESNE
Le texte de Laure…
Je suis allée boire une bière avec mes copains mardi, alors que j’avais interro de math mercredi; ma maman m’a dit : perte de temps, Laure. J’ai passé tout mon trajet de bus à contempler les gens qui déambulaient, heureux ou malheureux, seuls ou accompagnés, beaux ou laids, dans la rue, alors que j’avais dans mon sac un livre de 800 pages à lire. Mon professeur de français m’aurait dit; perte de temps, Laure. J’ai analysé le fonctionnement d’un métronome des heures durant, assise devant mon piano, parce que je n’avais pas le courage de jouer; si elle avait été là, ma professeure de piano m’aurait dit : perte de temps, Laure. Puis en fait, si je les écoute, je perds mon temps en permanence. Ma vie entière est une perte de temps et ça c’est vraiment effrayant.
La vie est courte, vraiment courte. Pour certains ici, elle ne fait que commencer, pour d’autres elle est déjà bien entamée. Donc j’espère que vous en profitez! Au maximum! Parce que “carpe diem”, “enjoyez”, profitez de la vie, on n’en a qu’une ne l’oubliez pas. Réalisez vos rêves, les plus grands, les plus fous! Faites ce qui vous plaît, ne perdez pas votre temps. Agissez! TAKE ACTION!! Quand vous regarderez votre vie, il devra vous paraître d’avoir tout vécu, tout vu… Bon, même si je suis un peu en train de m’amuser des gens qui s’expriment de la sorte, c’est quand même comme cela que l’on aimerait tous la prendre, la vie. Parce que, d’apparence, c’est une belle manière de voir les choses, non?
Mais cette vie d’actions, cette vie à 1000 à l’heure, cette vie sans pause, c’est une vie qui rime avec utilité et rentabilité du temps. Parce que quand on veut tout vivre, tout être, tout savoir, il est mal venu de perdre son temps… Or, en fait, c’est quoi perdre son temps? Ce serait pas beau de perdre son temps?
En écrivant mon texte, tout à l’heure, enfermée dans ce local, assise face aux rayons sporadiques du soleil, j’ai, pendant 5 minutes, 5 longues minutes perdu mon temps à réfléchir à ce que c’était exactement que de perdre son temps. Bon, j’avoue, je me suis surprise à rire, seule. La situation était burlesque. Perdre son temps à penser à perdre son temps, C’est d’un paradoxe déconcertant. Enfin bref, je me suis rendue compte de cela:
Si je mets bout à bout tous les moments de ma vie où j’ai perdu mon temps, ça se compte en années. Et sur ma petite vie de 17 ans, c’est anxiogène de me dire que j’ai perdu autant de temps. A la place de cela, j’aurais pu construire une deuxième planète pour pallier le réchauffement climatique, inventer un remède contre le sida, trouver la potion magique pour être heureux ou même mettre au point une stratégie pour que la tartine tombe du bon côté quand elle choit. Enfin, j’aurai pu rendre mon temps utile et rentable. Mais si on se met à penser à tout ça, vous vous imaginez quels êtres humains on deviendrait? Des machines en quête perpétuelle d’efficience et d’efficacité. Moi, ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir la vie en tout cas.
En réalité, il existe une infinité de manière de perdre son temps. Il existe une infinité de manière de percevoir le temps, de l’apprivoiser, de le dompter, de le gérer. Alors temps perdu, temps gagné? Ça veut dire quoi? Et puis cette vision du temps est très binaire. Or, ce dernier s’écoule inexorablement. Nous y sommes plongés sans jamais pouvoir nous en abstraire. Donc, puisqu’on ne peut pas le gagner, on ne peut pas le perdre non plus. En fait, ce temps, ce moment quand il est considéré comme perdu par la société ou par son sujet, il est en réalité seulement passé. Qu’il ait été perdu ou gagné, c’est une vision de l’ ”avoir”. Or le temps, jusqu’à preuve du contraire, on ne le possède pas.
Pour l’opinion publique, perdre son temps, c’est surtout s’ennuyer. Parce que lorsqu’on s’ennuie, les minutes s’allongent, deviennent lourdes et pesantes. Or en s’ennuyant, on effectue une tâche qu’il nous est rarement octroyé de réaliser. Celle de penser, librement, à tout ce qui défile dans notre cerveau. De la plus infime futilité à la question la plus existentielle. C’est une dimension qui malheureusement, dans le feu de l’action de nos vies, passe régulièrement à la trappe. Souvenez vous, enfant, laissé seul, dehors vous pouviez passer des heures à contempler les brins d’herbe. Les milliers, les millions de brins d’herbe autour de vous. Alors oui, on aurait pu vous emmener au zoo, au cirque ou à un stage multi-sport à l’Adeps. Oui, de l’extérieur, on aurait pu considérer que vous avez perdu votre temps. Alors qu’en réalité, vous avez formé votre cerveau d’enfant, vos émotions, vos perceptions, votre imagination. Enfin, tout ce qui rime en “tion”. Puis perdre son temps c’est également faire des choses que l’on n’apprécie pas. Mais là aussi, la perte de temps peut nous être utile car on sait ce qui ne nous correspond pas. Et quel pas dans la vie que de se rendre compte de ce que l’on aime et de ce que l’on aime pas. Tout moment nous est utile, de près ou de loin, il suffit simplement de parvenir à percevoir dans quelles mesures cette perte de temps va nous être favorable. Car, il est certain que les effets ne sont pas systématiquement instantanés. Le temps est dit perdu quand il n’est pas utilisé pour améliorer le futur. Cependant, comment peut-on savoir que l’instant présent est perdu, alors que nous n’en connaissons pas les effets dans le futur. Donc perdre son temps, finalement ça sert toujours. A se construire soi-même, à nourrir son âme. Ou bien si ça ne sert pas, c’est que ça servira à un moment ou à un autre.
Le vrai bonheur, il est dans la jouissance du temps perdu. Etre capable de trouver satisfaction même dans ce que l’on perd, c’est être capable de mener un vie simple. Et…. Vie simple, vie heureuse. Le vrai bonheur, il est dans la jouissance du temps perdu, parce que c’est un luxe que d’avoir le temps, le temps de perdre le temps. C’est une chance que de pouvoir se perdre des heures dans ses pensées sans culpabiliser de ne pas faire tel ou tel chose, de ne pas entreprendre tel ou tel projet, de ne pas rendre tel ou tel travail. Se laisser vivre, faire preuve de lâcher-prise, il est là le bonheur.
Marc Lavoine l’a dit; il faut retrouver le bonheur du temps perdu. Certains riront que j’aie réussi à citer Marc Lavoine dans un tournoi d’éloquence mais….. j’ai réussi! Et rien que pour ça j’espère que j’aurai les votes de tous les plus de 50 ans……… Oups, j’y ai peut-être été un peu fort.
Enfin, perdre son temps c’est se permettre de perdre la notion du temps. Oublier que le temps passe, oublier cette peur qui anime beaucoup de vivants, cette peur du sablier qui s’écoule. Ne pas être esclave du temps. Ne pas, ne plus en dépendre. Perdre la notion du temps c’est vivre sans compter, finalement. C’est vertueux. Alors dans ce cas, moi je veux bien perdre mon temps.
Parce que, quand on perd son temps, on ne le perd jamais vraiment. Alors, prenons le temps, le temps de perdre notre temps, et tant pis pour l’argent.