Tournoi d’éloquence 2024
Salle à gradins de l’Institut Notre-Dame de Jupille
Vendredi 9 février 2024
Participants
Hiba HAKIKI
« La politique a horreur du vide. Si elle n’est pas remplie d’espoir, quelqu’un la remplira de peur. » (Naomi Klein)
Nathan SCHOLSEM
« Le passé ne meurt jamais. Il ne faut même pas le croire passé. »
(William Faulkner)
Louise BOVY
« Nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »
(Blaise Pascal)
Malik DIKICI
« Nous sommes ce que nous n’avons pas fait. »
(Edouard Louis)
Elodie JANSSEN
« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. »
(Hannah Arendt)
Florian COUNASSE
« Je revendique le droit à l’ignorance. »
(Roland Barthes)
Jean BORSUS
« L’homme qui travaille perd un temps précieux »
(Miguel de Cervantes)
Elodie DEBEFVE
« La richesse d’un homme se mesure au nombre de choses dont il peut se passer. »
(Henry D. Thoreau)
Maryam ESSABIR
“Nous sommes ce que nous n’avons pas fait”
(Edouard Louis)
Louane HENROTTIN
L’homme qui travaille perd un temps précieux. »
(Miguel de Cervantés)
Palmarès
1er prix
Elodie JANSSEN
2ème prix
Jean BORSUS
Prix spécial du public
Louane HENROTTIN
La bibliothèque, faiblement éclairée, répandait l’odeur des bougies entre les rayons de livres empilés. Le bâtiment était vide à une heure si tardive. L’entrée était fermée depuis longtemps et seule restait dans les lieux, la réceptionniste, qui profitait de ces instants de calme pour découvrir les innombrables ouvrages entreposés ça et là, depuis des siècles. Selon elle, la lecture représentait le savoir, et le savoir était le bien. Grâce à lui, elle qui n’avait jamais aimé son prénom, avait appris à l’apprécier. « Alma », ce prénom qui parlait d’âme, de connaissances et d’élévation. « Alma », elle le partageait avec des compositrices, des peintres et des athlètes venant des siècles précédents. Un astéroïde même portait ce titre. Que pouvait-il y
avoir de plus beau que d’être liée à des êtres d’exception ainsi qu’à l’immensité du système solaire ?
Depuis qu’elle travaillait ici, Alma était privilégiée. Le savoir n’était accessible qu’aux élites de la société, le peuple étant trop occupé à se payer de quoi dormir et manger pour perdre son temps à virevolter à travers l’unique bibliothèque du pays. Ainsi avait-elle découvert l’histoire, l’astronomie, la physique et tant d’autres sujets qu’elle se voyait approfondir un peu plus chaque jour.
Mais assez tergiversé, comme le disait une philosophe dont elle avait lu les écrits la veille au soir « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ». Et nous ne sommes pas ici pour parler astronomie mais pour assister au plus grand drame de cette société : la naissance du mal.
En effet, trop absorbée par la lecture d’un roman nommé « 1984 », elle n’entendit, ni les pas s’éloignant de son dos, ni la porte se refermant derrière elle. Quand elle réalisa que l’odeur de brûlé semblait largement supérieure à celle produite par les quelques bougies allumées, il était déjà trop tard.
Le bâtiment devant elle était avalé par les flammes, le monde partait en fumée. La biologie, la musique, les langues et, pire que tout, l’histoire, n’étaient désormais rien de plus que du combustible. Alma, elle, se trouvait là, impuissante face à la disparition des connaissances. Les seules restant désormais, étant celles de sa mémoire, et nous savons Ô combien elle peut être faillible.
Cela faisait des années déjà que la bibliothèque avait disparu derrière les cendres. Elle n’avait jamais pu retrouver le roman qu’elle lisait à l’époque. « 1984 » n’existait plus en chapitres, il était devenu réalité. Pas une seule librairie n’avait été épargnée et ses voisins avaient peu à peu accepté leur nouvelle vie : surveillée à tout instant, morne de culture et vide de beauté. Ils ne connaissaient pas le monde d’avant, comment auraient-ils pu prendre conscience des machinations du gouvernement ?
« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal », qui avait écrit cela déjà ? Elle se souvenait d’une Hannah dont le nom débutait par un « A », mais impossible de remettre la main dessus. Dans tous les cas, force était de constater qu’elle n’avait pas tord. En empêchant les populations de s’instruire ou de réfléchir, le gouvernement avait vidé leur esprit. Il était ensuite devenu bien simple de leur imposer une nouvelle réalité. Si l’on ne sait différencier le bien du mal, comment réaliser qu’il y a matière à se
révolter ? Alma avait vu les masses s’incliner devant les discriminations et les injustices, elle avait assisté à la chute de la démocratie, et à l’oubli même de sa définition.
Elle-même se voyait, à contre cœur, forcée de croire en ce qu’on lui apprenait sur le monde tel qu’il était devenu. Elle gardait des souvenirs du passé, bien sûr, mais comment être certaine que sa mémoire ne lui jouait pas un tour ? Pire encore, comment vérifier que l’État survivait difficilement, mais bien mieux que ses voisins comme il l’affirmait, quand les frontières étaient floues et interdites d’accès ?
« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ». Il était désormais marqué au fer rouge dans le conscient et l’inconscient de la population. Comment pourraient-ils se révolter contre la seule connaissance qu’ils possèdent ? Moins on en connaît, plus on refuse de se remettre en question
au risque de perdre ses certitudes. Personne n’aime apprendre qu’il a été dupé de par sa propre ignorance. Vous, par exemple, ne vous est-il jamais arrivé de continuer à défendre bec et ongles une affirmation face à quelqu’un, alors que vous veniez de réaliser que vous aviez tord ? L’humain n’aime pas se tromper, cela le fait se sentir vulnérable, ou crédule. Imaginez donc un monde dans lequel tant de gens sont dans l’erreur que cette erreur en devient réalité. Un tel monde était désormais celui d’Alma.
« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal » car il est plus facile de planter une graine à un endroit si aucun arbre n’est déjà sorti de terre. Vous ne devez pas scier les branches, ni le tronc, et encore moins le déraciner avant de pouvoir remplacer votre pommier par un cerisier. Si rien ne pousse, il suffit d’enfoncer la graine dans le sol, de l’arroser de temps à autre et avec méconnaissance.
Alma refusait les fruits illusoires du gouvernement, elle ne cherchait rien d’autre que la connaissance, elle voulait le bien, et non le mal. Mais il était plus difficile chaque jour de s’instruire, et le vide des esprits avait été remplacé par le mal depuis bien trop longtemps. Elle se rappelait vaguement du terme « totalitaire », qui décrivait selon ses souvenirs, parfaitement la société qui l’hébergeait désormais : le monopole du gouvernement, la terreur instaurée par la police, le contrôle de l’information et des moyens de communication et, pire que tout, le maintient de la population dans l’ignorance : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ».
« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal », violente litanie qui ne cessait de la hanter, elle aurait préféré l’oublier, faire le vide dans son esprit pour permettre au cerisier d’être planté. La vie deviendrait si douce si elle perdait conscience du mal qui l’entourait. Combien de fois n’avait elle pas
hésité à se dénoncer, espérant que la punition serait assez douloureuse pour rendre son esprit malléable à souhait. Cela lui était pourtant impossible, elle savait et ne pouvait se résoudre à abandonner.
Elle ne connaissait pas la fin de « 1984 », le roman se terminait-il avec une liberté retrouvée ? « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal » mais c’est aussi là que s’installe l’espoir. Elle ne savait pas si le roman se concluait bien, elle ne savait pas s’il y avait une chance que ce soit le cas pour elle. Mais le vide de sa pensée avait laissé pousser, non-pas un cerisier, mais un gigantesque cèdre dont les aiguilles se dispersaient dans le vent en murmurant que le savoir n’avait pas disparu et qu’un jour le bien s’inscrirait à nouveau dans les esprits.
Elodie JANSSEN