Retraite de Ghislain Zeevaert
Ce jeudi 17 décembre, c’est avec une certaine émotion que nous avons fêté la mise à la retraite de Ghislain Zeevaert, professeur de musique à l’Institut. En plus de ce titre, il est aussi fondateur du Centre Charlemagne en 1977. Outre son dévouement dans de très nombreuses manifestations, on lui doit aussi la quasi construction de la salle à gradins puisque celle-ci, à part des bancs, nous avait été livrée vide…
Nous publions ci-dessous le texte écrit et lu par Thomas Mouchamps ce 17 décembre.
“Le 17 décembre 1770, il y a de cela 250 ans jour pour jour, à 120 kilomètres à l’Est de Jupille, était porté sur les fonts baptismaux de l’église Saint-Rémi de Bonn Ludwig Van Beethoven. Un génie était né…
Le 17 décembre 2020, en ce jour, à 120 kilomètres à l’Ouest de Bonn, prend congé de l’Institut Notre-Dame de Jupille Ghislain Zeevaert. Un grand monsieur tire sa révérence…
250 ans jour pour jour, presque heure pour heure… J’ignore si vous êtes comme moi, mais je ne crois pas au hasard des dates. Je me refuse de croire au pur hasard, par principe. Ce serait trop décevant. Non, laissez-moi plutôt croire que ces deux évènements se font écho d’une certaine manière. Mais, j’aperçois déjà la modestie de Monsieur Zeevaert fulminer derrière son masque m’interdire tacitement de pousser plus loin le rapprochement avec le grand Beethoven. Je m’exécute in petto et ma comparaison s’arrête donc là.
Toutefois, permettez-nous d’affirmer, Monsieur Zeevaert, qu’à notre échelle de Jupillois, la musique restera toujours associée à votre illustre personne. Pour la simple raison que vous êtes ce que l’on appelle prosaïquement un passionné. Mais pour peu que l’on y réfléchisse un instant, il est somme toute assez rare de croiser et, a fortiori de côtoyer, des personnes dont l’existence toute entière s’articule autour d’une passion noble. Vous êtes de ceux-là. Et cette passion noble et exigeante, la musique dans votre cas, irradie ceux que vous approchez.
Vos étudiants d’abord. Bien sûr. Et nous sommes quelques uns dans cette assemblée à savoir de quoi je parle. Vous leur aurez ouvert des portes qui, sans vous, leur seraient sans doute restées éternellement closes. Vous les avez impressionnés par votre virtuosité, à chaque fois que vos doigts se baladaient sur le clavier pour faire apparaître, au beau milieu de votre classe, le grand Jean-Sébastien Bach, par exemple. Vous les avez intimidés par la profondeur de votre savoir, mais aussi par le point d’honneur que vous mettiez à faire respecter les règles de savoir-vivre et de politesse, pour vous élémentaires ; pour eux, bien souvent insolites, voire inconnues.
Mais ce qu’il y a peut-être de plus impressionnant chez vous, ce serait au final ce que vous ne mettez pas en avant, ce que vous dissimulez presque.
Savent-ils, ces étudiants et savez-vous, chers collègues que le 30 avril 1990, alors que la magnifique chapelle de l’Institut était la proie des flammes, il y entra, au péril de sa vie, pour sauver ce qui pouvait l’être de l’orgue que, deux jours plus tôt, il avait inauguré ?
Savent-ils et savez-vous, chers collègues qu’en 1996, considéré à juste titre comme l’un des plus grands organistes belges, il fut invité à Tunis pour jouer à l’occasion de la visite du Pape Saint Jean-Paul II ?
Savent-ils et savez-vous que depuis 1998, il est le titulaire de l’orgue Korfmacher de l’église Saint-Sébastien de Stavelot, un des orgues les plus prestigieux et réputés du royaume ?
Monsieur Zeevaert n’était donc pas uniquement l’éminent et intimidant professeur de musique des Chanoinesses. Non. Il était bien plus que cela. C’est évident. Respecté et honoré extra muros, il mérite aussi tout notre respect et notre profonde gratitude pour tout ce qu’il a entrepris et réalisé au sein de l’Institut, au-delà du cours de musique. (Je remercie, ici, Monsieur Oblinger pour m’avoir fourni les informations qui vont suivre).
Citons pour commencer, l’organisation de stages de musique à l’Institut, durant plusieurs été, rehaussés par la présence d’artistes à la renommée internationale, comme par exemple, le chanteur lyrique Jules Bastin, qui avait notamment chanté lors des obsèques du roi Baudouin.
Repartons ensuite en 1977. Un an après son entrée en fonction, le jeune professeur crée le Centre Charlemagne, dont il sera le président jusqu’en 2007.
Durant cette longue période, parmi des dizaines d’autres activités culturelles, il mettra en scène un nombre incalculable de pièces de théâtre interprétées par de jeunes étudiants et des professeurs. C’est en 1994 qu’il monte sa dernière pièce, « Métro mais pas trop ! », mais ce n’est pas pour autant qu’il laisse de côté l’activité théâtre de l’Institut. Bien au contraire, il mettra toute son énergie et, il faut bien le dire, tout son génie pratique à l’élaboration des décors et de l’éclairage des pièces qui vont suivre. Ainsi, en 1996, pour la pièce « L’Arlésienne », il se lance un défi complètement fou : comment créer, sur une scène quasiment deux fois plus petite que celle que nous connaissons aujourd’hui, quatre décors différents : une cour, un paysage camarguais, une salle-à-manger et une chambre ? Impossible ? Que nenni ! Il y parvient. Grâce à un système génial fonctionnant au millimètre près, les changements de décors ne prennent que quelques secondes. Pourtant, le soir de la deuxième représentation, c’est le drame ! Un élément de décor représentant une cheminée se brise lors d’un de ces fameux changements. Va-t-on stopper net la représentation ? Que nenni ! C’est sans compter sur le sang-froid et sur l’opiniâtreté de Ghislain Zeevaert : quelques vis placées dans le noir, à l’aveugle, avec sa célèbre visseuse remettent tout à neuf. Et que la fête continue !
Il s’agit ici d’une anecdote parmi des centaines d’autres qui ne pourrait rendre à elle seule parfaitement honneur à l’investissement incommensurable, aux milliers d’heures consacrées à donner à la musique, au théâtre, à la danse, bref à la culture, la place qu’ils méritent à l’Institut Notre-Dame de Jupille.
Il apparaît donc évident que résumer la carrière de Monsieur Zeevaert à son unique statut de professeur de musique serait, à tout le moins, réducteur. C’est vrai ! Qui parmi vous ne trouverait par ailleurs ridicule de réduire le répertoire vaste et varié du génial Beethoven à la simple « Lettre à Elise » et au 1er mouvement de la 5ème Symphonie ? Oups… Je vous prie de bien vouloir m’excuser car il semblerait que je retombe dans mes travers et je crains dès lors de faire à nouveau apparaître, au milieu de ce discours, ce personnage hybride que je baptiserais, à tout hasard, Ludwig Van Zeevaert… Il me semble qu’il est donc peut-être temps de conclure.
Et pour ce faire, permettez-moi de me projeter 50 ans dans le futur. Nous sommes le 17 décembre 2070 et nous fêterons ce jour-là le tricentenaire du baptême de Ludwig. J’aurai 88 ans et nous serons en train de venir à bout héroïquement de la 3ème vague du Covid-27. Et ce jour-là, j’entrerai dans une église que je visiterais pour la première fois. Après m’être incliné devant l’autel, je me retournerai, au beau milieu de la nef centrale, et je lèverai mes yeux fatigués, mais rieurs, vers l’orgue qui là-haut, trône majestueusement. Et je dirai, un sourire aux lèvres, à qui voudra bien m’écouter (des petits-enfants, des arrière-petits-enfants qui sait?) :
- « Vous voyez l’orgue là-haut ? Il est beau, n’est-ce pas ? Et bien, je suis sûr que Monsieur Zeevaert l’aurait adoré…
- Papy ! C’est qui Monsieur Zeevaert ?
- Monsieur Zeevaert… C’était mon professeur de musique. Mais pas que… »”